Souvenirs d’enfance et de fraternité
Yvette Vasseur
Te souviens-tu des jours de verglas, nous usions nos chaussures à faire des glissades sur les flaques d’eau entre les pavés. J’avais peur de tomber, j’étais petite, alors ton copain et toi me tiraient alors que j’étais accroupie, comme ça, j’avançais quand même... Quand j’étais petite tu prenais soin de moi, tu venais me chercher à la porte de l’école, tu te sentais responsable.
Ta peur de la responsabilité était passée quand tu étais devenu grand : moi du côté des filles en classe maternelle et toi du côté des garçons à la grande école…de l’autre côté du mur où trônaient les latrines...
Tu avais tes copains, moi mes copines, mais nous avions quand même des moments à nous : quand tu me poussais sur la balançoire, quand tu m’apprenais à cracher dans les toiles des épeires pour les voir danser de rage et ne plus en avoir peur…
Notre enfance au naturel, arc de bois en branche écorcées, flèches légères au pointes taillées par nos canifs et équilibrées par des plumes de poules coupées, frondes de croisements de branches avec au milieu un morceau de caoutchouc taillé dans une chambre à air et retenu par des élastiques, qui avaient pu, au paravent, maintenir nos chaussettes ou nos slips…
Et nos chasses à papillons avec les filets de pèche à la crevette au retour de la mer… Nous les attrapions délicatement pour les voir danser dans la transparence du bocal et avant de rentrer à la maison nous les relâchions, presqu’en s’excusant d’avoir volé un peu de temps dans leur courte vie…
Plus tard quand Jean-Jean m’a prêté son vélo et que j’ai appris à rouler avec, nous faisions des virées jusqu’au pont de chemin de fer de notre petite enfance. Cette fameuse ligne de chemin de fer qui semblait longer la frontière. Le pont faisait office de ligne de démarcation au bout d’un chemin bordé d’aubépine sur la droite, derrière lesquelles s’étendaient des prairies à vaches jusqu’en Belgique et de l’autre, des champs à patates ou à blé, jusqu’à la route principale du quartier. Au bout, on laissait les vélos en bas et nous grimpions jusqu’au blockhaus en haut, à quelques mètres de la voix de chemin de fer.
On s’asseyait, on regardait les champs de l’autre côté, champs de blé ou de seigle. Ils ondulaient sous le vent de l’été. En bas passait un ruisseau, bordait de graminées aux fleurs mauves. Dans le ruisseau nous tentions d’attraper des sangsues, en essayant de ne pas se faire piquer par elles aux mollets, le peu que nous descendions dans le ruisseau pour les attraper.
Dans les bois du quartier des « ballons » nous fendions l’étendue d’orties à grands coup de sabre de bois pour nous frayer un chemin jusqu’à la mare. De loin on entendait les grenouilles coasser…Nous revenions parfois avec des boites de conserves dans lesquelles flottaient des salamandres. Superbes bestioles à la peau sombre que nous tentions de faire vivre dans des bassines ou des baignoires. Au grand damne de maman qui ne voyait pas comment on aurait pu faire vivre ces pauvres bêtes dans un milieu qui n’était pas le leur…Alors nous allions, pour ne pas encombrer trop longtemps la baignoire, les rejeter dans le canal…
J’étais amoureuse de ton copain Gérard, blond aux yeux bleus, il avait le même âge que toi et vous étiez tous les deux habités par les fantasmes de votre puberté naissante… regardant les filles qui avaient des nichons comme des proies potentielles pour votre libido débordante, nourrie par les magazines de cinémas…
Vous n’aviez aucune idée de comment on faisait l’amour… Notre éducation sexuelle se limitait à voir comment les chiens se grimpaient dessus dans les rues et restaient collés, malheureux sous les sarcasmes des braves gens toujours prêt à leur lancer un seau d’eau… ça n’était pas rassurant. Nous n’avions jamais vu nos parents nus. Dès que Brigitte Bardot remuait les fesses sous un drap, le film était interdit au moins de seize ans… la moindre tache de sang sur la chemise de nuit de maman était reconvertie en « Babania »
Nous étions des enfants plein de créativité, de rêves et… d’innocence…