Je ne pouvais pas aller plus loin parce qu’en face de moi s’étendaient des sables mouvants que seuls les connaisseurs traversaient à marée basse avec prudence.
J’arrivais dans un village tranquille qui résonnait au rythme de la vie animale,
du pas tranquille du cheval du cantonnier aux moutons des prés salés.
Les ombres pastel du crépuscule appelées au silence.
Les eaux arrivaient au terme de leur course, s’immobilisaient, captives de la baie.
Toi, l’ami gitan, arrivé pour la procession de juillet, tu dansais au pourtour de mon âme, une danse d’abeille avec son aiguillon, aussi ardente que la flèche lointaine de l’abbaye du Mont St Michel…
le Mont St Michel
Depuis les prés salés l’île du Mont St Michel apparaissait mystérieuse et magique
Dans la baie se profilait aussi une île sombre et déserte, repaire des oiseaux l’île de Tomblaine, île prison d’autrefois.
Dès le lendemain matin je pris le car pour visiter le Mont, deux texanes m’accompagnaient.
L’heure matinale nous épargna la foule des touristes. Nous pûmes monter sans encombre l’unique rue bordée de boutiques et de restaurants, en ce petit matin de début juillet.
Nous découvrions la baie à marée basse, depuis le parvis de l’église. Comme un réseau de veines éperdues, un delta éparpillait son eau argentée dans le sable immaculé où la force des marées ne semblait laisser aucune place à la végétation aquatique.
Librement, nous visitâmes le chœur de l’église et les salles du monastère et nous pûmes nous surprendre à admirer la beauté de la lumière cristalline des jardins du cloître et ses colonnes formant voûtes et ogives.
De retour à Avranches, nous allâmes dans les jardins de la mairie, on y donnait une fête folklorique, nous goûtâmes au gigot des prés salés et assistâmes à des danses où la grâce des jeunes filles était révélée par leur jupon virevoltant et leur coiffe papillonnante.
Saint Malo
Nous sommes arrivés face à la ville légendaire, depuis la gare, par la route des docks encombrés de leurs réserves de bois.
Nous sommes entrés par la porte marine, pas loin de la statue de Chateaubriand. A droite, s’étalait la place de la mairie et au bout le musée de statues de cire où est retracée l’histoire de la ville et de son héros : Surcouf. Nous nous sommes promenés quelques jours parmi ses rues et ses ruelles découvrant halls et places de marché, bouquinistes et petits musée de poupées.
Tu achetais des cigares et nous allions boire du Ricklès dans les petits bars à matelots.
Le matin tu vendais ton « or de trottoir » sur les marchés
Le jour tu dessinais sur le parvis de la cathédrale je te regardais colorier un visage de Christ et l’entourer de roses devant les badauds attentifs à découvrir le personnage illustré.
Les piécettes tombèrent dans le demi-ballon de caoutchouc posé sur le bitume tandis que tu t’essuyais les mains sur le devant de tes jeans …
Méandres de pierres et de granit rose, vous vous perdez dans l’eau de la baie, vous vous offrez corps et âmes à la Mer nourricière.
Et vos remparts gardent les secrets des trésors conquis.
le port de Dinan
Nous sommes arrivés à Dinan par le viaduc
Et sommes descendus dans le port par les venelles à flanc de collines
C’était l’heure bleue en été, un goéland aux ailes argentées planait et descendait en piqué vers la surface de la Rance. Des lampadaires aux allures de bec de gaz éclairaient les pontons, bercés mollement par l’eau douce. Des voiliers et des yachts alignés face à la berge semblaient s’assoupir après les épreuves de la mer.
Au crépuscule, les voiles sont plus blanches et les peaux plus sombre. Les terrasses se peuplent d’une foule colorée et polyglotte et s’éclaboussent d’éclats de rires dans les parfums de fruits de mer, de cidre et de bière fraîche.
Port de mer perdue en terre, tu demeures le havre de paix des amoureux de l’eau.
la vallée de la fontaine les eaux
Nous sortions du port par la route basse qui se perdait dans la vallée encaissée, à notre droite la route montait raide et boisée tandis qu’à gauche une prairie s’élargissait puis faisait place à des jardins et des parcs qui entouraient les trois moulins de la vallée. Les moulins à eaux n’étaient plus en fonction mais continuaient à être habités.
Celui du milieu était mon havre de prédilection... Là je me savais bien venue même sans avoir prévenu de mon arrivée. Ceux qui vivaient là ignoraient l’usage des clefs. Il y avait toujours quelque part un lit pour accueillir un voyageur de plus.
Nous partagions tout, la faim et les gueuletons, les combats et les victoires, les travaux et les jours de fainéantise.
Nous étions jeunes et de la race des sans frontières…
Avec juste l’idéal d’une vie hors des sentiers battus.
le cap Fréhel
D’abord une lande entre ciel et mer, comme un tapis volant aux couleurs de bruyères et de genêts suspendait nos regards. Nous empruntions des chemins étroits ils nous menaient au flanc de la falaise, à mi-chemin entre les embruns et l’à-pic. Nous marchions à la file indienne, ignorant le vertige et la peur, juste friands de sensation forte :
Sentir le vent s’engouffrer dans nos chemises et s’éclabousser d’écume….
Nous gravissions les blocs de granits roses.
pour remonter, lorsque le sentier disparaissait, nous nous poussions, nous nous tirions, sans angoisse et sans complexes, insouciants et inconséquents tels de jeunes chiens fous….
Trébeurden
La grande bâtisse à l’architecture Le Corbusier surplombait le cimetière de bateaux de pêche.
En bas des marches, un sentier nous menait dans une petite crique où l’eau arrivait en douceur à marée haute.
Nous nous y cachions et pataugions à souhait quand le soleil devenait trop chaud.
Le soir, nous nous promenions parmi les carcasses de vieux bateaux, tranquilles, recueillis et silencieux, nous communions à ce lieu de paix et de mémoire dans la lumière qui allongeait le ombres pour les rendre plus présentes, plus indissociables de la vie sur terre.
Le soir du quatorze juillet, nous avons regardé s’embraser les feux d’artifice des sept îles, perdues en mer et sorties de la brume pour une symphonie unique de lumière.
8 Le vieux moulin
Les pierres du ruisseau chantent la paix du fond des âges
Les ronces des mûriers tissent un linceul inviolable au vieux moulin
La roue à aubes a cessé de moudre le temps
Le corps nu et bleui de la fontaine demeure creux et stérile
Le vent brode au point de tige la prière cristalline de deux bouleaux enlacés
Les bambous violoncelles vibrent de longs frissons
Que le tilleul parfume et amplifie
Gardien vénérable du temple végétal, Le châtaignier centenaire baigne ses racines parmi les pierres et dissimule le pont de bois sous l’ogive de sa ramure
Les bouquets pastel des églantiers épousent la muraille
Les fougères balancent leur majestueuse chevelure
Sur les pentes abruptes de la vallée
Aux pieds des arbres à l’ordre bouleversé par le tumulte des tempêtes hivernales se répandent les prêles et le liseron, intimement mêlés.
Paisible et sauvage le présent épouse mon souvenir.
Il est des lieux qui n’existent que dans la mémoire
Au fond du square le petit immeuble était recouvert de crépi blanc
Les fenêtres aux châssis métalliques ouvraient vers l’extérieur
L’escalier de bois brun menait à l’unique étage et se prolongeait au sous-sol.
Dans les années soixante, les gens se respectaient,
Les bicyclettes et les vélomoteurs rangés dans le hall d’entrées ne portaient pas de cadenas.
Ma mère claquait la porte en sortant en ne fermait pas à double tour.
La plus part des gens du square travaillaient à la Lainière de Roubaix
Qui employait six à sept mille personnes.
Les mômes
Ce qui a toujours dérangé ma mère, c’était le bruit.
Elle a vécu plus de trente ans à la campagne
Ne supportait pas la mouvance perpétuelle des enfants du baby-boom
Ils envahissaient les pelouses et les halls d’entrée
Les familles cosmopolites avaient facilement jusqu’à quatorze enfants
Nous étions les enfants de la France à venir
Nous avions nos jeux et nos regroupements.
Africains noirs, Pieds noirs, Algériens, Italiens, Ukrainiens ou Polonais.
Les enfants étaient bilingues ; la première génération née en France…
Une France au destin multicolore.
Le Cathé
L’église de briques rouges au fronton crénelé
Portait sur sa façade un Christ de ciment
Qui montrait son cœur du doigt
Le vieux curé en soutane noire roulait à vélo
Les religieuses qui faisaient le catéchisme portaient
Des bas nylons et des popelines beiges
Des « femmes du peuple » qui ne se distinguaient guère des autres…
Juste par leur allure de « vieille fille »…
Le jour de la communion solennelle
Quatre-vingt filles et cinquante garçons
Remontèrent la rue principale sous le soleil de juin
Dans leurs habits blancs… et j’avais les yeux qui pleuraient….
La directrice
La directrice du collège portait toujours une robe noire
elle avait une allure à la « Édith Piaf »,
Un charisme qui imposait le respect sur son passage
elle enseignait la musique
Pas le piano, ni le solfège ni même la flûte
mais la vie des grands compositeurs
Elle s’asseyait sur le bureau, devant nous, pour paraître plus grande et croisait les jambes.
Elle nous parlait de Schubert, Schumann, Ravel, Debussy…
Elle nous contait Bach ou Mozart en nous écoutions religieusement
Elle posait sur la platine du pick-up un prestigieux disque de vinyle
Elle nous invitait à poser la tête sur nos bras et à écouter …sans s’endormir…
C’est ainsi qu’aujourd’hui encore il m’arrive de reconnaître
une symphonie aux premiers accords
Le prof de math
Le mari de la directrice portait une blouse blanche et avait les cheveux en brosse
Il était prof de mathématiques mais n’avait pas beaucoup de charisme
Il se faisait respecter à coup de punitions.
Il avait vécu en Amérique et prévoyait la crise future :
« Vous avez intérêt à poursuivre vos études le plus longtemps possible,
Plus tard seuls les ingénieurs et les balayeurs auront du travail »
Ses cours de onze heures du matin m’endormaient
Sa voix monocorde me rendait l’algèbre imbuvable…
Je n’ai jamais compris ni aimé l’algèbre.
Mais je suis obligée de dire que, quelque part
Ce triste sire
N’avait pas tort dans ses prédictions…
Les allumoirs
A l’approche de la rentrée des classes, l’air explosait de bruits sonores et pétaradants.
Au bout de nos doigts nous maintenions l’extrémité d’une corde en état d’incandescence, nous enroulions le reste autour de nos poignets : cette corde à feu s’appelait « le clachiron »... Il faisait office d’allume-cigares pour les plus vieux,
mais surtout d’allume-pétards pour les plus jeunes.
Entre les jambes des filles affolées, dans le hall d’immeubles, dans les boites aux lettres,
du « boucan » énorme cigare rouge aux minuscules pétards souris,
tout ce qui prenait feu, pétait !
C’était la folie du moment, d’autant plus exaltante qu’il était interdit de faire sauter les pétards et paradoxalement il n’était pas interdit aux commerçants d’en vendre !
Mais qui aurait pu imaginer les Allumoirs sans pétards ?!
Le jour venu Elles sortaient des maisons au bout d’un bâton, lanternes de papier de riz pliées en accordéon, jaunes, rieuses et rondes ou les lunes ,
chatoyantes orange et rouge pour les soleils, multicolores pour les autres.
Elles se regroupaient et suivaient la fanfare des majorettes.
Les anciens, les parents, avaient appris aux enfants
le chant de ralliement des porteurs d’allumoirs :
« Vive les allumoirs ma mère, vive les allumoirs, on les allume quand il fait noir,
vive les allumoirs ! »
A l’instar des chants du carnaval de Dunkerque…mais en moins paillard…
Le défilé se terminait devant la boulangerie du quartier par la distribution de sucreries…
Cette tradition est perpétuée à la mémoire de nos aïeux qui se rendaient à la « fabrique » pour assurer l’équipe de nuit avec des lanternes .
La ducasse
Elle s’installait sur la place du bourg pour la fin de la semaine et le lundi suivant,
chaque année à la mi-septembre.
A la sortie de l’école, le vendredi soir, nous allions regarder se monter les manèges.
Ils se plaçaient toujours aux mêmes endroits d’une année sur l’autre.
Sur la grande place trônait le manège de chevaux de bois, derrière nageaient en rond les « Donald » pour les petits, et au bout, la chenille couverte, pour les amoureux et les amateurs de sensations…
Sur le parking de la rue des Patriotes s’étalaient les auto-tamponneuses et le transalpin.
Le long des rues voisines se montaient les baraques des loteries et des marchands de nougats :
Barbe à papa, beignets hollandais, pommes d’amour, gaufres et autres friandises pour petits et grands.
Pendant trois jours la Ducasse battait son plein, je retrouvais avec plaisir mes galopades imaginaires sur les grands chevaux blancs qui grimpaient le long de leur tige dorée en spirale, ou sur le dos des petits cochons quand les chevaux étaient pris d’assaut.
Plus tard je découvrais la chenille et sa bâche rouge et le décor blanc du transalpin ainsi que les voitures aux teintes métallisées de l’espace musical où virevoltaient comme des danseuses les auto-tamponneuses surmontées de leurs antennes électriques…
Plus tard, beaucoup plus tard, j’y ai emmené mes enfants.
Le marché
Le vendredi matin, un long ruban de toiles multicolores se déroulait
le long de la rue Chopin.
Les commerçants habituels prenaient toujours les mêmes emplacements.
Ma mère avaient ses habitudes, achetait le café en grain en vrac à un homme chauve qui portait une blouse grise, la mesure de métal chromée plongeait dans le sac de jute et ressortait tout embaumé du parfum de café torréfié.
Plus loin, elle achetait les bonbons et les gâteaux secs, en vrac également,
par livre ou demi-livre, pour la semaine.
Le crémier coupait le beurre à la motte avec son fil et le pesait
dans du papier sulfurisé blanc
Le poissonnier renforcé son emballage par du papier de journal.
Tout était simple, coloré et odorant, les citrons se vendaient cinq pour un franc,
Les oranges, les pommes se goûtaient au bout du couteau…
Nous n’avions pas encore découvert les supermarchés et leurs emballages plastiques,
la pollution par l’inutile et le tri sélectif des déchets
et son héritage de grandes poubelles à roulettes.
La Merveilleuse
C’était le nom de la petite société de glaciers qui tournaient dans la cité.
L’un roulait en triporteur et annonçait son passage par un air de trompette.
Les gosses sortaient des immeubles et faisaient la queue autour du conteneur de bois surmonté du cône doré et crénelé…
Le glacier soulevait ce couvercle par la boule du sommet et plongeait une palette de bois dans la glace fumante… Le cornet se remplissait petit à petit, se surmontait d’un dôme unicolore ou multicolore selon le choix et le prix à payer.
Entre nos mains la glace fondait et nos langues, à revers, prenaient la place quittée par la palette.
D’autres jours, la Merveilleuse passait dans le quartier avec une charrette tirée par un âne qui portait un chapeau, nous nous groupions à l’arrière sous l’auvent pendant que la serveuse blonde préparait les cornets à boules vanille -fraise ou vanille- chocolat…
Nous ne mangions de la glace qu’en été…
Aujourd’hui la Merveilleuse passe en camionnette
Et une bande enregistrée nasillarde a remplacé le trompettiste.
En hiver le jardin apparaissait sous la forme de plates-bandes de glaise brune, symétrique et parallèles à l’allée centrale…
Toute droite, elle menait à la cabane à outils sous le lilas.
La planche de la balançoire restait accrochée à la barre.
L’hiver, le jardin emprisonnait ses couleurs
Mêlées au terreau et à l’argile, au secret de son humidité.
L’hiver, le jardin me disait d’attendre.
2. Le printemps
Au printemps tout sortait de la torpeur
Les pigeonniers des jardins voisins roucoulaient jour et nuit.
Les coqs de la ferme d’en face chantaient à tue-tête dès l’aube.
Les passereaux lançaient leurs trilles,
Le jardin étirait sa langueur
Entre explosions de bourgeons et ascensions des tiges.
Il appliquait consciencieusement sa palette en camaïeu de vert
Et l’agrémentait du pastel des premières fleurs.
Au printemps, l’air osait les premières vibrations
Sous les élytres écarquillés des coccinelles
Et sur les ailes cristallines des libellules, funambules des cordes à linge.
La fermière
De l’autre côté de la rue, du long ruban glissant de pavés gris
Je poussais la lourde porte de la ferme de Thérèse
Et sa laiterie aux murs de faïence blanche
Au beau milieu trônait le tonneau de la baratte.
Il virevoltait sur lui-même en un bruit de moteur et de pignon mécaniques
La fermière rangeait les œufs bruns dans des sachets de papier brun, le fromage blanc dans le papier sulfurisé blanc,
Avec la maestria d’un perfectionnisme de l’habitude.
Ses gestes étaient maîtrisés et calmes,
Ses paroles aussi mesurées que les pintes de lait…
Selon un rite perpétuel et ancestral.
4 Grand-père
La casquette de grand-père s’imprégnait de la sueur de sa tête
Elle lui volait son odeur, sa forme,
Elle se gavait du gras luisant entre ses rides.
Le manche de la bêche, aussi luisait, poli par le travail des mains.
Les épaules rougissaient à l’échancrure du maillot de corps,
Contraste de nuances chaudes
Sur le fond immaculé d’un ciel de juin,
Aussi bleu que son pantalon de travailleur.
5 Les carrières
Ceux du hameau appelaient « carrières » tous les chemins
qui s’en allaient à travers champs depuis la chaussée principale.
Carrières de terre noire et poussiéreuse,
Jonchées de silex beiges et jaunes comme des œufs d’oiseaux brisés.
Mannes pour nos frondes de gosses chahuteurs.
Projectiles redoutables, ils atteignaient parfois la tête de ceux trop lents à se cacher.
Le sang rouge et poisseux collait les cheveux,
Mouillait les mouchoirs à carreaux, tandis que s’élevaient
Les cris de rage et de douleur des malchanceux.
6 Maman
Pour sortir le dimanche, ma mère agrémentait son bouffant de cheveux noirs de crans brillantinés, elle plaçait des peignes sur les côtés pour soulever les mèches trop longues, elle poudrait son visage pour le matifier,
Coloriait ses joues et ses lèvres aux teintes des cerises, entre griottes et bigarreaux. Tout cet apparat rendait à l’évidence la lumière pétillante de ses prunelles myosotis et de ses longs cils noirs.
7 Grand-mère
Ma grand-mère paternelle vivait au fond d’une courée à Lille
La fenêtre du rez-de-chaussée se cachait derrière les géraniums
Rose pimpant et rouge brique.
Dans l’unique pièce où elle vivait,
Tout avait pris une teinte passée, couleur sépia,
Comme la grande photo du défunt mari,
Dans l’ovale du cadre, en uniforme de dragon de la guerre 14-18,
Ou celui de la petite fille perdue en bas-âge.
Les gâteaux secs aussi accusaient le temps passé dans la boite.
Seule, la voix de grand-mère chantant le grand air de « madame Butterfly » ou le « pays du sourire » avait gardé le cristal et la fraîcheur de ses jeunes années…
8 Noël
Pour Noël, ma mère posait un « petit Jésus » de plâtre rose entre son père de brun vêtu et sa mère couverte de voile bleu ciel.
Nous petit déjeunions de chocolat chaud fondu doucement dans le lait et de la traditionnelle « coquille » de Noël, brioche à deux têtes, avec un petit trou au milieu du ventre pour simuler le nombril.
Ce pain gâteau avait un goût de paradis, à nul autre pareil, bien loin de l’insipide et blême hostie symbolique et tristounette de nos messes dominicales ponctuées de bâillements causés par des estomacs creux.
9 ST Nicolas
A la veille de la ST Nicolas, l’atmosphère se teintait de mystère.
Grand-père nous contait la légende du saint homme,
Disait qu’il viendrait de nuit nous visiter.
Il posait sur la table de la salle à manger, un plat de carottes ; le lendemain, les légumes avaient disparu… maman nous disait de chercher le jouet qu’il avait échangé contre la nourriture pour son âne.
C’est ainsi que me furent offerts une poupée aux longues tresses brunes, endormie dans son berceau et, une autre année, un petit piano peint de laque bleue et mon premier illustré de Martine qui fait du théâtre.
10. La bicyclette
Les rares jours où il ne travaillait pas, mon père venait me chercher à la porte de l’école,
Il me soulevait de terre pour me poser sur le cadre de sa bicyclette bleue. Mes petites mains accrochées au milieu du guidon.
Il sifflotait et roulait doucement sur la chaussée pavée, nous traversions la partie boisée du chemin, le long du chemin de fer, où passaient, suivies d’une écharpe de fumée blanche, les locomotives à vapeur à destination de la Belgique.
Parfois des lièvres cavalaient devant nous, les oreilles allongées sur le dos beige foncé, ils grimpaient les talus, disparaissaient dans les fourrés.
C’est dans ce bois que, quelque temps plus tard, je bravais les orties, à grand coups de sabre de bois pour aller cueillir, au beau milieu, des roses pour la fête de Maman.